À l’heure où les coagulants de substitution gagnent du terrain, le métier de présurier continue de défendre la qualité et la typicité des fromages français.

Avant d’être un produit de terroir, le fromage est d’abord une transformation biologique et maîtrisée du lait. L’étape du caillage : le moment où le lait passe de l’état liquide à l’état solide repose sur un ingrédient clé : la présure. Cette substance naturelle est au cœur de la métamorphose du lait en caillé, puis en fromage. Derrière ce processus se cache un métier aussi rare qu’indispensable : celui de présurier.

Le présurier est le professionnel qui conçoit, prépare et adapte la présure aux besoins des fromageries. Il agit à la croisée de la science, de la technique et du patrimoine culinaire. À l’image de Michel Grandjean, directeur commercial du Groupe Granday, dernier producteur français de présure traditionnelle, ce métier incarne la continuité d’un savoir-faire menacé mais essentiel à la typicité des fromages.

Issu du monde fromager, Michel Grandjean transmet aujourd’hui un message clair : comprendre la présure, c’est comprendre l’âme du fromage.

« Mon rôle est de présenter notre activité, notre savoir-faire français aux fromageries. Fromager de métier, j’ai à cœur d’expliquer mon expérience pour démontrer tous les intérêts de nos présures en fromagerie. Sans cesse, nous devons faire comprendre aux fromagers que la présure est bien plus qu’un agent coagulant, surtout lorsque la présure est obtenue par macération lente. » Le rôle et le fonctionnement de la présure La présure est un extrait enzymatique naturel contenant principalement de la chymosine et de la pepsine. Ces enzymes provoquent la coagulation du lait en rompant la caséine κappa, la protéine responsable de la stabilité du lait liquide. Le réseau de protéines ainsi formé retient l’eau et la matière grasse, donnant naissance au caillé.

 

Le rôle et le fonctionnement de la présure

La présure est un extrait enzymatique naturel contenant principalement de la chymosine et de la pepsine. Ces enzymes provoquent la coagulation du lait en rompant la caséine κappa, la protéine responsable de la stabilité du lait liquide. Le réseau de protéines ainsi formé retient l’eau et la matière grasse, donnant naissance au caillé.

schéma expliquant ce qu'est la présure
Dans le schéma classique de fabrication, le lait est recueilli puis réchauffé, avant l’ajout de la présure qui déclenche le caillage. Viennent ensuite le tranchage du caillé, l’égouttage, le moulage, le pressage et enfin l’affinage. À chaque étape, la qualité de la présure conditionne la texture et la régularité du produit final.

Chez Granday, ce savoir-faire se transmet depuis plus de 150 ans. « Notre présure est obtenue par macération de caillettes de bovidés. Nous produisons des présures à partir de caillettes de veaux, de chevreaux ou d’agneaux. Les caillettes macèrent durant 15 jours dans une saumure. Ce procédé unique permet d’obtenir des présures riches en acides aminés, petits peptides, enzymes, minéraux qui confèrent par la suite aux fromages des qualités particulières d’onctuosité, de richesse aromatique, de durée de vie, de rendement… »

La macération lente confère à la présure une action plus douce, progressive et équilibrée. Michel Grandjean ajoute : « La présure obtenue par macération lente continue son action dans le fromage tout au long de l’affinage. Les acides aminés, petits peptides sont des facteurs de croissance pour les bactéries protéase moins, ce qui permet d’obtenir des fromages à protéolyse douce, plus aromatiques avec une plus longue durée de vie. Le phosphore permet quant à lui d’obtenir des fromages plus onctueux, plus fondants, plus crémeux avec de meilleurs rendements. Nous considérons que la présure obtenue par macération lente est le premier agent d’affinage ! »

 

Le métier de présurier, entre tradition et technologie

Être présurier demande une connaissance approfondie du lait et des procédés fromagers. Chaque type de lait de vache, de brebis ou de chèvre réagit différemment à la présure. La température, le pH, le temps de prise et la nature du fromage recherché influencent tous le choix du coagulant.

Michel Grandjean insiste sur la rigueur et la précision nécessaires : « Notre production est standardisée en force coagulante pour garantir aux fromagers un temps de prise toujours régulier d’un lot à l’autre. La production à Meursault est contrôlée au quotidien de manière rigoureuse, ce qui nous vaut d’obtenir des présures de qualité constante et régulière. » Mais le rôle du présurier ne s’arrête pas à la production. Il accompagne les fromageries dans l’ajustement des dosages et la compréhension des phénomènes biologiques du caillage. « Enfin, nous technologues sur le terrain connaissons les différentes technologies fromagères et savons parfaitement adapter nos présures en fonction des objectifs recherchés par le fromager. Nous opérons un grand travail d’accompagnement des fromagers dans leur choix de présure pour optimiser la qualité des fromages dans la durée. »

fromages blancs et rond posés sur une planche

Une filière fragile mais porteuse d’avenir

Jusque dans les années 1970, la présure animale était utilisée dans la quasi-totalité des fromages. Aujourd’hui, moins de 20 % de la production française y a recours, principalement dans les fromages AOP où son emploi reste obligatoire. Les coagulants microbiens ou fermentaires, plus standardisés et moins coûteux, dominent désormais le marché.

Michel Grandjean rappelle cette évolution : « Les coagulants de substitution ont depuis quelques années maintenant détrôné la présure. Moins de 20 % des fromages sont encore transformés avec de la présure en France, grâce aux AOP pour lesquelles la présure reste encore obligatoire. Les coagulants issus d’OGM, développés dans les années 1990, pèsent pour près de la moitié des fromages en France. Cette situation est méconnue du consommateur. »

Ce recul s’accompagne d’une forte concentration du secteur : « Nous étions une quarantaine de producteurs de présures en Europe dans les années 70. Il en reste moins d’une dizaine, dont 4 se partagent plus de 80 % de la production. Laboratoires ABIA est l’ultime français. »

Face à cette réalité, le présurier doit défendre une approche durable et locale. « Il faut bien préciser que depuis le développement de ces coagulants, aucun veau n’a été sauvé de l’abattage ! La caillette est un sous-produit de l’abattage. On ne tue pas de veau pour sa caillette. »

Pour Michel Grandjean, l’avenir passera par un retour aux fondamentaux : « J’ose croire à un retour aux vraies valeurs, à la tradition. Nos technologies fromagères nous ont été transmises par des fromagers respectueux d’une culture traditionnelle. La présure produite localement, avec des races locales, faisait partie de ces notions de respect. Les jeunes fromagers ont tendance à se retrouver dans cette approche. »

L’histoire du Groupe Granday, fondé à Beaune en 1872 et labellisé Entreprise du Patrimoine Vivant, témoigne de cette fidélité. La première présure commerciale au monde fut produite par la famille Granday, et le procédé de macération lente n’a jamais cessé d’être appliqué. «

Les meilleurs fromages, ceux sous label AOP, sont produits avec de la présure, c’est un élément majeur de qualité. On peut donc espérer que d’autres fromages s’en inspirent à l’avenir. La caillette est à l’origine du fromage, ce serait un comble de la voir disparaître ! »

Plus qu’un ingrédient, la présure est un symbole d’équilibre entre nature, science et tradition. Le métier de présurier, maillon discret mais essentiel, perpétue un héritage que la filière laitière française s’efforce de préserver.

Retrouvez l’ensemble des professionnels du secteur, des producteurs de présure aux maîtres affineurs, auSalon du Fromage et des Produits Laitiers du dimanche 7 au mardi 9 juin 2026, le rendez-vous incontournable du savoir-faire laitier français.